« Une crise identitaire, une crise de valeur » – Sciences Po Aix dans la cité

Conférence d’Olivier Beaud

Cycle de conférences « Sciences Po Aix dans la cité » : L’Europe en crise, les crises de l’Europe…

2018-2019

 

Sciences Po Aix doit être un lieu où l’on offre, au public le plus large, les clés nécessaires à la compréhension d’un monde que d’incessants bouleversements rendent « énigmatique ». A cet égard, le siècle qui vient de s’écouler se caractérise par un brouillage constant des repères politiques, dont l’érosion de la souveraineté étatique n’est pas le moindre indice. Nous devons nous projeter dans un univers où la globalisation et la frontière sont simultanément érigées en impératifs catégoriques. Sous l’effet conjugué de la mondialisation et des crises systémiques, les sociétés contemporaines sont travaillées par des changements de tous ordres, dont l’impact cumulé engendrent de profondes évolutions, voire de véritables ruptures. C’est dans cette perspective, que nous nous proposons, au titre de la deuxième saison de Sciences Po Aix dans la Cité d’aborder le thème crucial de « l’Europe en crise ; les crises de l’Europe ». Comme nous y avions veillé, l’année dernière, à propos de la radicalisation et de ses causes, il s’agit sans jamais renoncer aux devoirs d’une approche universitaire exigeante, de rendre intelligibles les contextes nationaux et internationaux, les situations sociales, les déterminants juridiques et économiques, les circonstances historiques, qui éclairent les tenants et les aboutissants d’une situation dont chacun pressent les risques. Notre volonté n’est pas seulement de dresser un constat critique, à la lumière des sciences sociales, mais aussi d’examiner les réponses institutionnelles et juridiques qui permettront de surmonter éventuellement les tensions continentales.

 

Examinant la vie des institutions et plus largement du système que constitue l’Union européenne, on relève que le concept de crise ne se laisse pas facilement capturer. Crise réelle ou crise de perception ? Cette question perd de son importance dès lors qu’une situation est appréhendée, fut-ce de manière fantasmatique, comme une crise. Quelle que soit la réalité objective d’un état, vécu comme anxiogène il se traduit immanquablement par une crise dont l’intensité variera en fonction des circonstances. Stade douloureux mais « normal » de tout développement, les crises de croissance ont émaillé l’histoire de l’Union. D’autres appartiennent à l’espèce la plus grave, celle qui atteint la légitimité même du système considéré. Dans un contexte de désenchantement idéologique et d’érosion des propriétés qui fondaient traditionnellement l’acceptabilité d’un ordre politique démocratique, la question de la légitimité se pose à l’Union européenne et aux Etats qui la composent avec une urgente nécessité. Il leur appartient d’énoncer les ressorts d’une « institution invisible » (Rosanvallon) sans laquelle il serait vain de vouloir établir durablement une relation confiante entre citoyens et gouvernants. Y renoncer reviendrait à condamner l’action publique à un enlisement permanent.

 

La question revêt une acuité plus forte encore depuis 5 ou 6 ans. En effet, l’Europe doit faire face à une crise que l’on peut qualifier à la fois de totale et d’essentielle. Totale, elle l’est. L’Union n’étant plus perçue comme à même de faire la richesse des nations ou d’assurer la sécurité des peuples. Ici, c’est la capacité de l’Union à remplir les missions qui sont à son principe même que les crises s’enchaînant depuis 2008 mettent à l’épreuve. A mesure que l’embellie économique tarde à venir, l’Union, comme garante de la prospérité, est démonétisée. Au-delà, elle est décriée pour son inaptitude largement postulée à assurer la sécurité des personnes. Pour s‘en convaincre, il suffit de voir à quel point la gestion de flux migratoires complexes et pressants hystérise non seulement les Etats membres mais aussi des pans entiers de la société.

 

Par ailleurs, alors que les valeurs semblaient être devenues un ciment incontesté de loyautés, l’Union doit affronter des crises qui révèlent, comme jamais, la fragilité de cette adhésion. Au-delà même du Brexit, l’Union voit, pour la première fois depuis 1957, son destin menacé non plus par des luttes d’intérêts entre États mais par des divergences portant sur l’essentiel. L’équilibre qu’elle était parvenue à atteindre entre sophistication juridico-institutionnelle et ambition d’un projet politique conçu comme universel pourrait être rompu à brève échéance.

 

Comprendre et éclairer les ressorts d’un processus difficilement résistible, en saisir les différentes dimensions (politiques, juridiques, sociologiques, économiques, historiques…), voilà les défis que nous assignons à notre nouveau cycle de conférences organisé en étroite liaison avec le Centre d’excellence Jean Monnet « L ‘Europe au sud ».

Ce contenu a été mis à jour le 26 octobre 2018 à 7 h 04 min.